Les contributions 2025 > Par auteurs et autrices > Hasni Abdelkrim

Résumé

Une tendance internationale se dessine vers des approches éducatives plus interdisciplinaires dans l'enseignement secondaire, s'éloignant des approches strictement disciplinaires (Hasni et al., 2012). En France et au Québec, cette orientation s'inscrit dans une rénovation des programmes, particulièrement en Sciences et technologies (ST) (Hasni et Belletête, 2024), et pourrait être justifiée par les apports épistémologiques, affectifs et pédagogiques de l'interdisciplinarité (ID) (Lenoir et Hasni, 2016). Cependant, sa compréhension et sa mise en œuvre rencontrent des obstacles (Hasni et al., 2015), chaque contexte l'abordant selon ses particularités historiques, politiques et culturelles (Lenoir et Hasni, 2016). Notre recherche doctorale, adoptant une approche à visée comparative entre le Québec et la France, vise à saisir les similitudes et les différences entre ces contextes (Lebrun et Tutiaux-Guillon, 2016). Malgré des influences internationales communes, des écarts subsistent, reflétant la tradition disciplinaire française et la tradition pédagogique québécoise (Lebeaume et Hasni, 2016). En France, l'ID se manifeste par des dispositifs complémentaires aux enseignements strictement disciplinaires (SVT, PC et technologie) comme les itinéraires de découverte (IDD), les thèmes de convergence et les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Au Québec, le Programme de formation de l'école québécoise (PFEQ) favorise la collaboration entre disciplines au sein de grands domaines d'apprentissage, notamment en regroupant les sciences et technologies (ST) et les mathématiques (M) dans le domaine STM où ST regroupe la chimie, la physique, la biologie, l'astronomie, la géologie et leurs applications technologiques. La thèse se concentre sur l'ID en ST exclusivement. En France, les réformes tendent à préserver l'enseignement disciplinaire par des dispositifs additifs (Cramarégeas, 2021; Prost, 2006), tandis qu'au Québec, la polyvalence des enseignants facilite une transition vers un profil généraliste. En revanche, en France, la spécialisation disciplinaire demeure prédominante, influençant fortement l'identité professionnelle des enseignants (Lebeaume et Hasni, 2016). Certains enseignants français, très attachés à leur discipline d'origine, rapportent des difficultés à en enseigner d'autres (Prieur, 2018), contrairement à leurs homologues québécois, qui enseignent l'ensemble des disciplines scientifiques et technologiques (Hasni et al., 2012).

Ces différences nous conduisent à émettre l'hypothèse que les enseignants français sont davantage attachés à leur identité disciplinaire que leurs collègues québécois. Ce « paradoxe identitaire et interdisciplinarité » (Lange et Munier, 2019) oriente notre thèse et soulève la question de recherche suivante : Quel est le lien entre l'identité disciplinaire et la compréhension et la mise en œuvre de l'interdisciplinarité chez des enseignants de sciences et technologies au secondaire inférieur en France et au Québec ?

Notre cadre conceptuel repose sur deux concepts : l'interdisciplinarité scolaire et l'identité disciplinaire enseignante. L'ID scolaire peut être explorée en considérant quatre dimensions -conceptuelle, fonctionnelle, opérationnelle et organisationnelle - basées sur le cadre de Hasni et al., (2008). Pour l'identité disciplinaire, nous avons élaboré une conceptualisation en nous appuyant sur les définitions de l'identité (Dubar, 2010; Ion, 2000), ainsi que sur l'opérationnalisation de l'identité professionnelle enseignante proposée par Cattonar (2001), l'identité disciplinaire étant considérée comme une composante de l'identité professionnelle (Audigier, 1997). Trois dimensions principales ont été retenues pour opérationnaliser ce concept : la biographie des enseignants, les critères d'appartenance, et les critères de différenciation. En s'appuyant sur ce cadre conceptuel, notre recherche doctorale vise trois objectifs spécifiques : 1) Décrire comment les enseignants comprennent et mettent en œuvre l'ID des ST dans leur enseignement et pour quelles finalités, en France et au Québec; 2) Caractériser l'identité disciplinaire chez des enseignants de science et technologies en France et au Québec; 3) Identifier les liens potentiels entre l'identité disciplinaire enseignante et l'ID scolaire, en France et au Québec.

Cette recherche, de nature exploratoire en raison de la rareté des études (Van der Maren, 1996) sur l'interrelation entre l'ID scolaire et l'identité disciplinaire, adopte une approche mixte, alliant composantes qualitatives et quantitatives. La perspective phénoménologique est privilégiée pour appréhender l'expérience vécue des individus, conférant ainsi à notre recherche une dimension explicative, interprétative et descriptive. Afin de garantir une diversité suffisante des perspectives et une représentativité adéquate, nous envisageons d'interroger environ 50 enseignants de ST, intervenant auprès d'élèves âgés de 11 à 13 ans, au Québec et en France. Pour le recueil des données, nous nous appuyons sur deux méthodes principales pour répondre aux objectifs spécifiques 1 et 2 : les questionnaires et les entrevues semi-directives. L'objectif 3 dépendra des données de 1 et 2. Les réponses aux questionnaires, qui traiteront de l'identité disciplinaire et de l'ID, permettront d'identifier les aspects nécessitant un approfondissement via des entrevues semi-directives, guidées par un protocole structuré. Pour l'objectif spécifique 1, le questionnaire explorera des questions telles que les définitions attribuées à l'ID par les enseignants, leurs justifications du recours à cette approche, les obstacles rencontrés et les méthodes de mise en œuvre effectives. Pour l'objectif spécifique 2, nous envisageons des pistes de réflexion en lien avec les trois dimensions : 1) La « biographie des enseignants » : cursus, intérêts, motivations, valeurs, etc. ; 2) Les « critères d'appartenance », où nous proposerons des options sur un continuum (par exemple, identité thématique, identité hybride, Interdisciplinarity native, Interdisciplinarity migrant, identité indisciplinée) représentant les profils types auxquels les enseignants pourraient s'identifier. D'autres questions exploreront si le choix pédagogique des enseignants est influencé par les pratiques institutionnelles ; 3) Le « critère de différenciation », où des questions aborderont la maîtrise disciplinaire, l'excellence disciplinaire, la spécialisation disciplinaire.

Références

Audigier, F. (1997). Histoire et géographie : un modèle disciplinaire pour penser l'identité professionnelle. Recherche & formation, 25(1), 9‑21.

Cattonar, B. (2001). Les identités professionnelles enseignantes. Ebauche d'un cadre d'analyse. Cramarégeas, F. (2021). L'interdisciplinarité dans l'enseignement secondaire en France (1970-2018): une légitimation contrariée dans les discours, les configurations institutionnelles et les pratiques enseignantes.

Dubar, C. (2010). La crise des identités: l'interprétation d'une mutation (4e éd). Presses universitaires de France.

Hasni, A., Lenoir, Y. et Alessandra, F. (2015). Mandated Interdisciplinarity in Secondary School: The Case of Science, Technology, and Mathematics Teachers in Quebec.

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