L'enjeu et la problématique de la recherche ;
Le projet de recherche doctorale s'intitule La prospective stratégique et territoriale dans la gouvernance des universités : une approche par les instruments d'action publique. Il prend appui sur les travaux consacrés à l'évolution des formes de gouvernance et de configuration universitaire mais aussi ceux consacrés à l'évolution des démarches de prospective dans la conduite du changement de l'action publique. Fondée sur une approche sociologique des instruments d'action publique dans l'enseignement supérieur (Halpern et al., 2014 ; Lascoumes, le Galès, 2005), cette thèse a pour objectif principal de questionner la nature, les usages et les effets (potentiellement différenciés) de la prospective à la fois comme un outil d'anticipation pour préparer l'avenir des territoires et une véritable pratique discursive et stratégique au service d'une gouvernance institutionnelle (Rio, 2015) et comme technique d'opérationnalisation locale d'instruments d'action publique nationaux et composante des reconfigurations universitaires (Mignot-Gérard et al., 2019). Elle souhaite ainsi observer, comprendre et révéler la mobilisation des démarches prospectives opérationnelles et discursives par les gouvernances universitaires pour anticiper de manière participative une fabrique de leur politique de formation en cohérence avec l'action publique et en quoi elles contribuent à l'émergence de nouvelles formes de configuration universitaire transformative dans l'enseignement supérieur (Denouël, 2023).
La méthodologie ;
Cette thèse se coordonne autour de trois axes de recherche : l'analyse des documents institutionnels nationaux et locaux relatifs à l'implantation et au déploiement de prospective stratégique territoriale dans les institutions d'enseignement supérieur ; l'analyse des services, des professionnels et des missions qui autorisent leur mise en œuvre dans les établissements ; l'analyse des interdépendances entre les autorités de tutelle, les universités, les acteurs territoriaux et la profession académique dans l'accomplissement des démarches prospectives. Cette communication relève plus spécifiquement du premier axe de recherche. Dans ce cadre, nous nous nous sommes appuyés sur les données issues de l'organe de traitement statistique Open data du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche du 1er janvier 2024 pour identifier 69 universités sur le territoire hexagonal et ultra-marin français. Pour chacune d'entre elles, nous avons recensés depuis les documents institutionnels publiés sur Internet (statuts des établissements, des organigrammes politiques et des directions générales des services, de lettres de mission stratégique, des règlements intérieurs, des fiches de postes et descriptifs de services universitaires), la présence de « la prospective » avec la mise en place de nouvelles fonctions.
Les premiers résultats ;
Les données recueillies ont été organisées selon trois premiers critères de manière à identifier les instruments d'action publique à l'œuvre dans les établissements mais aussi leur instrumentation (Halpern et al., 2019) dont les effets à l'échelle d'un territoire sont susceptibles de participer de la gouvernance et du pilotage de l'université ou bien du fonctionnement des professions académiques.
*par région
Nous recensons 11 schémas régionaux et 1 stratégie régionale d'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation à l'aune de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Elle cadre l'articulation des compétences en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation dans les régions académiques qui évoquent des méthodes participatives et contributives de concertation citoyenne et territoriale dans leur conception.
*par type d'établissement
L'ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018, relative à l'expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, en application de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, notamment son article 52, permet la création d'établissements publics à caractère expérimental (EPE) sur une période d'étendant jusqu'en 2028. L'article 1 de l'ordonnance dispose que les EPE peuvent expérimenter « de nouveaux modes d'organisation et de fonctionnement dans les conditions prévues au présent chapitre, afin de réaliser un projet partagé d'enseignement supérieur et de recherche défini par les établissements qu'il regroupe ».
*par vague HCERES
Dans notre contexte de recherche, le focus est principalement mis sur les critères de performance attendus par les départements d'évaluation des établissements, des coordinations territoriales et des formations et spécifiquement le pilotage de l'offre de formation à l'échelle des EPE (vagues E (2024-25), A (2025-26) et B (2026-27)) dans un contexte de coordination territoriale qui font référence notamment à « une stratégie institutionnelle dont l'opérationnalisation s'appuie sur des analyses prospectives et l'explicitation des dits dispositifs et outils d'aide au pilotage et la capacité de l'établissement à nouer « des partenariats avec les collectivités territoriales en lien avec les schémas locaux et régionaux de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ».
La première analyse des données documentaires selon les critères ci-dessus voudrait ainsi que l'on se focalise sur deux établissements et que nous abordions les méthodes d'enquête nécessaires pour appréhender le rôle des acteurs territoriaux externes à l'université et les dynamiques partenariales locales dans les processus de reconfiguration universitaire française. Ces modalités de recherche seraient ainsi mises en regard de celles qui ont été mobilisées dans les travaux portant sur les articulations réflexives entre les stratégies de regroupement territorial d'établissements portées par les « politiques d'excellence », les formes de différenciation de concurrence et de compétitivité qu'elles soutiennent et l'évolution conséquente des modes de gouvernance des universités (Aust et al., 2013 ; Crespy, 2007, 2015). Cependant, il parait opportun d'un point de vue épistémologique de dépasser la création du corpus de données uniquement recueilli par la présence ou non de la mention « prospective » dans le recensement documentaire des sites Internet institutionnels. En effet, nous constatons que quatre établissements sont également configurés de services, de professionnels et de missions dédiés au pilotage et d'aide à la décision, de développement stratégique, de partenariats et des territoires, de management de projets transversaux, d'observatoire des transformations internes qui participent de l'anticipation stratégique et de la fabrique opérationnelle de l'offre de formation universitaire en lien avec les acteurs territoriaux. De plus, l'analyse des documents institutionnels d'autres EPE, Idex et I-site en dehors des campagnes d'évaluation Hceres vagues E, A et B révèlent des pratiques socialement installées de la prospective au service du pilotage stratégique et opérationnel de l'offre de formation en lien avec les acteurs territoriaux. Ainsi, il faut à ce stade envisager le matériau d'enquête issu d'établissements type EPE, I-site, Idex, sur 7 régions différentes progressivement enrichi et constitué qui aura pour objectif de rendre possible l'exploration conjointe des trois axes de recherche préalablement identifiés et, de nouveau, faciliter la saisie et la compréhension des relations d'interdépendance entre les quatre ordres locaux (Etat, université, profession académique, acteurs locaux.) préalablement repérés pour observer et comprendre l'anticipation de la fabrique de politique de formation dans l'enseignement supérieur par les gouvernances universitaires. Les premiers résultats de l'enquête documentaire sont à affiner mais permettent de formaliser, de manière objectivée et éclairée, les choix relatifs aux terrains à investiguer de manière plus focalisée et, ce faisant, au travail monographique à engager.
Les principales références bibliographiques.
Aust, J., Crespy, C., Epstein, R., Reigner, H. (2013), « Réinvestir l'analyse des relations entre l'État et les territoires », Sciences de la société, 90, p. 3-21.
Crespy, C. (2007). Gouvernance de la recherche et compétitivité des régions : quel rôle pour l'action publique territoriale ? Politiques et Management Public (pp 23-24)
Crespy, C., Soldano, C. (2015). Chapitre 2. Institutions et politiques universitaires : quelle(s) intégration(s) des sites « secondaires » ?. Dans : Rachel Levy éd., L'université et ses territoires (pp. 33-54). FONTAINE: Presses universitaires de Grenoble.
Denouël, J. (2023), Transformations pédagogiques numériques dans l'enseignement supérieur : une approche sociologique critique. Note de synthèse d'Habilitation à diriger des recherches, Université Rennes 2, Rennes
Halpern, C., Lascoumes, P., Le Galès, P. (2014). L'instrumentation de l'action publique. Controverses, résistance, effets. Paris, Presses de Sciences Po.
Lascoumes, P., Le Galès, P. (2005). Gouverner par les instruments. Paris, Presses de Sciences Po.
Mignot-Gérard, S., Normand, R., Ravinet, P. (2019). Les (re)configurations de l'université française. Revue française d'administration publique, 169(1), 5-20.
Rio, N. (2015). Gouverner les institutions par le futur, usages de la prospective et construction des régions et des métropoles en france (1955-2015). Thèse de doctorant de science politique, Université Lumière Lyon 2