26-26 mars 2025 Brest (France)

Les contributions 2025 > Par auteurs et autrices > Blassel Maude

À hauteur d'enfants. Construire sa posture et ses outils dans une enquête auprès d'élèves de cycle 3
Maude Blassel  1@  
1 : Centre de Recherche sur l'Education, les apprentissages et la didactique  (CREAD EA 3875)
Université de Bretagne Occidentale (UBO), Université de Bretagne Occidentale [UBO]

Cette communication s'inscrit dans le cadre de ma thèse de sociologie de l'éducation portant sur les relations enfantines dans des contextes de mixité sociale et ethnoculturelle. Elle sera axée spécifiquement sur une réactualisation et un enrichissement des réflexions méthodologiques portant sur la recherche auprès d'enfants et de jeunes, dans la continuité notamment du manuel de référence Enquêter auprès d'enfants et de jeunes (Danic et al., 2006), et relatera mon expérience de terrain. Nous analyserons donc les implications de la posture de l'enquêtrice, puis nous apporterons une contribution sur l'adaptation des outils de collecte de données.

 

Contexte :

Cette recherche s'appuie une méthodologie mixte visant à reconstituer les réseaux amicaux des élèves suivi·es ainsi qu'à recueillir leurs perceptions de la mixité sociale et ethnoculturelle. Des observations sont régulièrement conduites à l'école, sur le temps scolaire et le temps péri-scolaires, qui soulèvent des questions quant à la posture à adopter sur le terrain. Par ailleurs, je réalise des entretiens semi-directifs avec des enfants âgé·es d'environ 10 ans, et les élèves ont rempli et vont remplir à plusieurs reprises des questionnaires écrits. Ces différentes modalités de collecte de données interrogent sur les adaptations à construire pour parvenir à recueillir des données exploitables du point de vue de la recherche.

 

Ces réflexions méthodologiques s'ancrent dans un ensemble de travaux portant attention à la relation d'enquête et aux rapports sociaux variés qui s'incarnent lors de la situation d'entretien, à l'instar du genre, de la classe sociale, ou encore du niveau de diplôme. L'âge, et a fortiori lorsque les deux interactant·es appartiennent à deux catégories distinctes que sont « l'enfance » et « l'âge adulte », est ainsi considéré comme une différence de statut social susceptible d'orienter le recueil des données et l'expérience de l'enquête de terrain (Auger et al., 2017)

 

La posture de l'enquêteur·ice 

L'accès aux données, lors d'une enquête auprès d'enfants, est d'abord marqué par la présence de « gate-keepers » que sont les adultes responsables des enfants et qui contrôlent le contact de l'enquêteur·trice avec les enfants par les autorisations légales et morales et la possibilité matérielle d'échanger avec les enfants (Mallon, 2017). L'entrée sur le terrain implique d'obtenir des accords à différentes échelles, et qui peuvent toujours être remis en question.

La posture de recherche sur le terrain s'apparente à un jeu d'équilibriste : il s'agit alors tout à la fois de ménager ses relations avec les gate-keepers qui encadrent la relation entre l'enquêteur·ice et les enquêté·es, et de construire avec les enfants un lien de confiance permettant leur expression. En effet, la/le chercheur·euse s'efforce souvent de faire en sorte que les enquêté·es ne le/la placent pas du côté de l'autorité, que la situation d'enquête ne s'apparente pas à une interaction scolaire (familière des élèves), ce qui pourrait avoir pour effet de limiter les déclarations des enfants. Wilfried Lignier décrit cette posture en se définissant comme « moins qu'un adulte, plus qu'un enfant » (Lignier, 2008). Néanmoins, cette posture intermédiaire présente des difficultés et limites. À partir d'exemples concrets, cette communication détaillera la posture qui a été adoptée lors des ces premiers mois d'enquête de terrain. La recherche – et l'adaptation permanente – de la posture de l'enquêtrice, tente ainsi de concilier la collecte de données exploitables à court-terme mais aussi à long-terme (maintenir une relation de confiance à la fois avec les gate-keepers et avec les enfants enquêté·es) et une éthique de la recherche qui ne méconnaît pas les effets de son action (ou de son inaction) sur le terrain.

Par ailleurs, cette première partie de thèse a aussi été l'occasion d'instaurer différents éléments qui tentent de proposer une certaine réciprocité dans la relation entre enquêteur·ice et enquêté·e qui peut s'analyser dans une logique de don / contre-don.

 

La nécessité d'adapter les outils de collecte de données ?

Les travaux portant sur la recherche auprès d'enfants et de jeunes ont également proposé de s'équiper d'outils spécifiques permettant un recueil de données plus adapté à l'âge des enquêté·es. Dans cette communication, je présenterai mes choix méthodologiques concernant le recueil des données.

 

Le choix du format de l'entretien, individuel ou collectif, sera d'abord discuté : si les focus group peuvent permettre d'accéder à des interactions entre enquêté·es, ils présentent des difficultés spécifiques de menées d'entretien qui peuvent être renforcées avec les enfants, pour qui le maintien de l'engagement dans l'entretien représente un effort accru (Baudrit, 1994). Par ailleurs, ce choix s'effectue aussi à l'aune du degré d'interdépendance qui unit les enquêté·es et des sujets traités. En l'occurrence, pour une recherche portant sur les relations entre les enfants dans laquelle les enquêté·es sont invité·es à lister leurs meilleur·es ami·es et à parler de leurs camarades de classe, un entretien collectif risquerait de nuire à la confidentialité du propos, ayant pour effet soit une réticence des enfants à parler librement, soit des effets négatifs sur l'estime de soi des enfants concerné·es par des propos (qu'iels soient présent·es dans le groupe ou que les propos leur soient rapportés). De manière générale, et cet enjeu rejoint également la question des effets sur le terrain soulevé par la posture de l'enquêteur·ice, il m'a semblé – contre Wilfried Lignier et Julie Pagis (2017) – qu'inviter les enquêté·es à réfléchir aux noms des enfants qu'iels n'appréciaient pas présentait davantage d'inconvénients concernant les implications pour les enfants que d'intérêt pour la recherche.

 

Afin de recueillir la parole de jeunes enquêté·es, il a été proposé d'accentuer le caractère ludique des entretiens, par l'intermédiaire de petits jeux, manipulations ou d'activités enfantines à l'instar du dessin. (Simon, 2020) Si ces méthodes peuvent être fécondes, il est apparu dans cette enquête de terrain qu'elles n'étaient pas forcément nécessaires. Cette première année de thèse a en effet été l'occasion de réaliser des entretiens semi-directifs avec des enfants de 10 ans, dont la durée moyenne est de 45 minutes et dont certains durent jusqu'à 1h30, sans qu'il ne soit mobilisé d'outils ludiques ou spécifiques. En effet, lors de la phase exploratoire, différentes techniques ont pu être utilisées : certaines se sont révélées infructueuses, d'autres ont permis de faire parler les enfants mais les entretiens qui n'y recourent pas sont tout aussi féconds. Au-delà des techniques et outils mobilisé·es, l'attitude de l'enquêteur·ice est aussi importante pour garantir un cadre serein pour que l'enfant puisse s'exprimer, pour que l'enquêteur·ice s'assure de son consentement à participer à l'enquête, et pour récolter des données riches. La variabilité des capacités des enfants à s'exprimer dans le cadre d'une enquête par entretiens, en fonction de l'âge, du genre ou de l'origine de l'âge, a été mis en évidence notamment dans L'enfance de l'ordre (Lignier et Pagis, 2017).

 

Tant pour limiter l'imposition de problématique que pour favoriser la compréhension par la/le chercheur·euse des propos de l'enfant, il semble nécessaire que la phase d'entretien soit précédée d'une familiarisation avec le terrain. Cette étape permet de construire une relation de confiance avec les enfants comme évoqué précédemment, mais également de connaître l'environnement dans lequel évolue l'enfant, d'acquérir certaines références culturelles spécifiques au groupe étudié, de visualiser les individus dont va parler l'enquêté·e (a fortiori dans une étude portant sur les sociabilités).

 

Si les capacités à s'exprimer oralement dans un entretien sont inégalement distribuées entre les enfants, cette variabilité m'est apparue encore plus significative lors de la passation de questionnaire écrit. La maîtrise de la lecture et de l'écriture par les élèves de CM1-CM2 est fortement variable d'un·e enfant à l'autre, et plus globalement d'une école à l'autre, et a nécessité certains ajustements : alors que certain·es enquêté·es ont pu remplir seul·es et développer à l'écrit leurs réponses, certain·es enfants ont dû être assisté·es ou dicter leurs réponses à un·e adulte, ce qui peut limiter la comparabilité des réponses.

 

 

Références bibliographiques :

  • Auger, F., Lefrançois, C., & Trépied, V. (2017). Que faire de l'âge dans l'enquête ? Penser les rapports sociaux d'âge entre enquêtés et enquêteurs. SociologieS. https://doi.org/10.4000/sociologies.5990

  • Baudrit, A. (1994). L'entretien collectif avec des enfants. Spirale. Revue de recherches en éducation, 13(1), 219‑229. https://doi.org/10.3406/spira.1994.1902

  • Danic, I., Delalande, J., & Rayou, P. (2006). Enquêter auprès d'enfants et de jeunes : Objets, méthodes et terrains de recherche en sciences sociales. Presses universitaires de Rennes.

  • Duval-Valachs, Nicolas (22). Posture de recherche (2) : un éléphant dans un magasin de porcelaine. La démocratie est un jeu d'enfants. Consulté le 13 janvier 2025 à l'adresse https://doi.org/10.58079/qkaa

  • Lignier, W. (2008). La barrière de l'âge. Conditions de l'observation participante avec des enfants. Genèses, 73(4), 20‑36. https://doi.org/10.3917/gen.073.0020

  • Lignier, W., & Pagis, J. (2017). L'enfance de l'ordre : Comment les enfants perçoivent le monde social. Seuil.

  • Mallon, I. (2017). Les rapports sociaux d'âge : Une dimension (im)pertinente de la relation d'enquête ? SociologieS. https://doi.org/10.4000/sociologies.6019

  • Simon, A. (2020). Are Children Interviewees Just Like Any Others? Bulletin of Sociological Methodology/Bulletin de Méthodologie Sociologique, 146(1), 81‑98. https://doi.org/10.1177/0759106320908223

 


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