En juin 1964, vingt-quatre élèves quittent leur école primaire de Lanrédec dans le Finistère pour délocaliser la salle de classe sur le bord de mer. Accompagnés de leur enseignant, ils s'apprêtent à vivre la première « classe de mer » au centre nautique de Moulin-Mer à Logonna-Daoulas, qui vient tout juste d'être construit. Premier dispositif de découverte et d'éducation au milieu marin, le modèle de la classe de mer est plébiscité et se diffuse, à la suite de cette première initiative due à l'instituteur communiste et ancien résistant Jacques Kerhoas, soutenu par les pouvoirs publics locaux et encouragé par l'Inspection Académique du Finistère. L'Association Finistérienne pour le Développement des Classes de Mer (AFDCM) est créée en 1966. Le nombre de classes partant en classe de mer augmente alors rapidement, sur l'ensemble des côtes bretonnes (2 classes en 1964, 14 en 1966, 65 en 1968 et pas moins de 198 en 1971). Ce succès l'amène à être reconnu par l'Éducation nationale avec la circulaire du 6 mai 1971.
Le développement des centres de classes de mer et des centres nautiques a connu un essor important dans les années soixante. Institutions éducatives, touristiques et sportives emblématiques de la Bretagne, les centres nautiques sont des acteurs incontournables du développement des territoires littoraux locaux. Pourtant soixante ans après leur création leur pérennité interroge, à l'heure d'une augmentation des règlementations et d'une difficulté à faire perdurer un modèle éducatif dont le manque logique de rentabilité se heurte à la réalité socio-économique. L'objectif de la recherche est ainsi double. Il s'agit tout d'abord de comprendre comment ceux-ci ont évolué, s'influençant les uns les autres dans une logique à la fois de concurrence mais aussi de coopération, et participant indéniablement à la structuration socio-économique de leur territoire. L'objectif est, dans une seconde perspective, d'appréhender la réalité contemporaine de ces centres, dont les statuts et les organisations sont très variées, et qui se caractérisent notamment par la précarité de leurs personnels et une difficulté à assurer leur pérennité. Le travail de recherche proposera ainsi une sociohistoire de ces centres, visant à mettre en avant les contradictions qui les traversent, entre un investissement politique et symbolique évident et une réalité socio-économique fragile.
Les classes de mer évoluent dans un environnement ayant connu de nombreuses transformations organisationnelles. Cet environnement est dense et relativement complexe, touchant à une série d'enjeux non seulement historiques et éducatifs, mais aussi territoriaux, socio-économiques et organisationnels. La cartographie des acteurs du nautisme fait apparaître à la fois des acteurs institutionnels historique, l'Etat, les collectivités territoriales mais aussi des acteurs liés au développement des pratiques nautiques tel que la fédération française de voile et les associations sportives qui leurs sont affiliées. On peut alors d'interroger sur la manière dont les classes de mer se réintègrent et se réassimilent dans cet environnement institutionnel, qui a eu tendance à les isoler.
La thèse va contribuer à montrer comment la dimension éducative des classes de mer est réinterrogée par de nouveaux acteurs du nautisme à l'instar du centre nautique de Penmarch qui ne faisaient plus de classes de mer et qui aujourd'hui s'est réapproprié ce dispositif sur des séjours plus courts. La question centrale est alors comment les classes de mer sont positionnées, comme le dit Bernard PECQUEUR (Économiste et aménageur, Professeur à l'Université Grenoble-Alpes, laboratoire PACTE), comme une nouvelle ressource territoriale mais aussi une ressource organisationnelle qui permet de fédérer des acteurs pour diversifier une offre de service qui inclus ces centres de classes de mer. Le travail va chercher à montrer également qu'à travers les nouvelles préoccupations liées à la sensibilisation à l'environnement, ou comme le montre Monique Dupuis sur l'évolution de « l'éducation au développement durable et à la transition écologique (Dupuis 2024) ouvre à de nouveau enjeux pour l'écosystème des classes de mer et centres nautiques. Des enjeux à la fois sociaux (prendre compte la diversité des situations d'inégalités d'accès au littoral), des enjeux économiques (pérennité des CN, marché de l'emploi, marché public) et enfin des enjeux Politiques (jeu des acteurs institutionnels, fédéraux...). Le travail va enfin chercher à mieux renseigner la connaissance de ces institutions sportives et socio-éducatives que sont les centres nautiques par une approche par la sociologie des organisations. En effet, si la recherche sur les classes de mer, l'éducation à l'environnement s'est développée depuis quelques années (Fuchs, Brougère, 2021 ; Fuchs, Camus, 2022 ; Camus et al., 2021 ; Clouette, Peyvel, 2023)., l'examen succinct des écrits en lien avec le projet montre que, même si les « centres nautiques sont des acteurs incontournables du développement des territoires littoraux locaux », la recherche portant sur ces organisations est quant à elle assez limitée. Ce constat nous amène à démarrer l'étude, et ce sera l'objet de cette communication, par un nécessaire travail de recherche documentaire mais aussi une identification de l'ensemble des centres nautiques du territoire Breton. L'ambition est de travailler à la construction d'une typologie des organisations étudiées. Ce travail ne peut se faire sans le croisement de cadres disciplinaires différents qui permettent de rendre de compte de la réalité et de la logique de fonctionnement des acteurs.
Le travail en cours, qui fera l'objet de cette communication, repose sur un recensement exhaustif des centres nautiques, y compris les centres de classes de mer, situés dans les départements du Finistère, d'Ille-et-Vilaine, des Côtes-d'Armor et du Morbihan. Au-delà d'un simple inventaire s'appuyant principalement sur des bases de données gouvernementales – telles que « Data ES », qui recense l'ensemble des équipements sportifs, espaces et sites de pratique sous l'égide du ministère chargé des Sports, ou l'Annuaire des entreprises de la Direction interministérielle du numérique (Dinum), qui permet de vérifier les informations légales publiques des entreprises, associations et services publics en France –, il s'agit de montrer en quoi ce travail, par les questions qu'il soulève, nourrit une réflexion plus large sur l'objet de recherche. Nous montrerons que la compilation des données, qui pourrait sembler simple a priori, soulève en réalité de nombreuses interrogations, notamment en raison du manque d'informations disponibles et de la complexité dans l'organisation des structures recensées. Cette complexité est liée à plusieurs facteurs contingents, tels que leur statut, leur taille, la stratégie des acteurs ou encore le territoire sur lequel elles sont implantées. C'est à travers l'analyse des difficultés rencontrées dans la collecte des informations que l'objet de la recherche se précise, conduisant ainsi à affiner le cadre méthodologique de la recherche.
Cadre de référence
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Bayle, E. (2007). Essai de définition du management des organisations sportives : Objet, champ, niveaux d'analyse et spécificités des pratiques managériales. Staps, 75(1), 59‑81. https://doi.org/10.3917/sta.075.0059
Bernard, N. (2017). Nautisme et tourisme : Une convergence au bénéfice des territoires. Études caribéennes, 36. https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/10505
Brougère, G., & Peyvel, E. (2021). Élève ou touriste : Ce que les enfants vivent et disent de leurs classes de mer. Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, 54(3), 87‑108. https://doi.org/10.3917/lsdle.543.0087
Camus‑Le Pape, M., Clouette, F., & Guillaud, É. (2021). Entre volonté éducative et impératifs économiques. Géographie et cultures, 119, Article 119. https://doi.org/10.4000/gc.20071
Fuchs, J. et Brougère, G. (2021) . Les classes de découverte : un objet de recherche encore à découvrir. Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, Vol. 54(3), 7-15. https://doi.org/10.3917/lsdle.543.0007.
Jallat, D. (2003). Processus de sportivisation et institutionnalisation de la voile en France à la fin du XIXe siècle. https://doi.org/10.3406/insep.2003.1728
Lafabrègue, C. (2019). Conflits, alliances et négociations autour de la prise en compte des écoles de voile par la fédération nationale de voile (1945-1976). Sciences sociales et sport, 13(1), 29‑56. https://doi.org/10.3917/rsss.013.0029
Marsac, A. (2011). Du tourisme au développement durable : Les usages des cours d'eau par les kayakistes français. VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Hors-série 10, Article Hors-série 10. https://doi.org/10.4000/vertigo.11454
Pecqueur, B. (2014) . Esquisse d'une géographie économique territoriale. L'Espace géographique, Tome 43(3), 198-214. https://doi.org/10.3917/eg.433.0198.
Philippe, Marion. (2022). Les glénans : Histoire du tourisme nautique dans les ports bretons. https://hal.science/hal-03913161